Mise à jour le 17.01.2007

 

Adoption de la
bicyclette

 L’écho de la gendarmerie, n° 1066, 3 février 1901

 

  

Le ministre de la guerre, le Général Louis Joseph ANDRÉ, a décidé, le 24 décembre dernier, l’adoption de la bicyclette pour le service de la gendarmerie à pied, et, comme conséquence, l’attribution aux militaires de l’arme, qui seront tous propriétaires de leur machine, d’une prime journalière fixée à 25 centimes. Cette prime est destinée à couvrir les dépenses d’achat, d ‘entretien et de réparations, faites par chaque gradé ou gendarme bicycliste.

 

Dans les brigades où le service pourra être exécuté à bicyclette, tous les gendarmes seront pourvus d’une machine.

 

Le modèle de bicyclette adopté est celui de M. le capitaine Gérard (bicyclette pliante).

 

La mise en service des bicyclettes dans les brigades est subordonnée au vote du supplément de crédit qui sera demandé au Parlement pour faire face aux dépenses qu’entraînera le payement des primes journalières à allouer aux gendarmes possesseurs d’une machine. Pour en évaluer le montant, le ministre a prescrit aux chefs de légions de lui adresser la liste des brigades de gendarmerie à pied dans lesquelles la bicyclette pourrait être employée utilement pour l’exécution du service. Cette liste indiquera l’effectif de chaque brigade, et, par suite, le nombre de machines dont chaque légion devra être dotée.

 

L’adoption de la bicyclette est donc décidée en principe, mais…, il y a un gros mais, comme on ne fait rien sans argent, il va falloir demander un supplément de crédit au Parlement.

 

Les partisans de la bicyclette ne doivent donc pas se réjouir trop tôt, et ceux qui sont hostiles à l’emploi de ce moyen de locomotion pour le service de la gendarmerie n’ont pas à s’alarmer avant le quart d’heure de Rabelais.

 

Comme le budget de 1902 ne pourra être voté qu’à la fin de cette année, ce n’est donc que dans un an environ que la bicyclette pourra être mise en service.

 

En attendant, le ministre devrait bien faire connaître que l’usage de cet instrument est facultatif, de telle sorte que les futurs bicyclistes n’aient pas à faire un apprentissage du jour au lendemain, de manière aussi que ce délai d’une année puisse compléter une expérience qui a pu paraître probante, mais qui n’a malheureusement été faite que dans une seule légion.

 

Nous avons toujours été, et sommes encore partisans de la bicyclette, qui a donné, dans la légion où elle a été expérimentée, des résultats qu’on pourrait qualifier de merveilleux.

 

Seulement, si son adoption est subordonnée à un vote de crédits supplémentaires, il y a là une appréhension de voir la solution de cette question indéfiniment ajournée.

 

25 centimes de prime journalière représentent une allocation de 91 fr. 23 par an, soit près de 100 francs par gendarme à pied et par an.

 

Nous allons nous montrer larges dans nos calculs, c’est-à-dire les établir d’après un minimum improbable. Nous supposerons donc que sur un effectif de 10.639 gendarmes à pied, il n’y en ait que 5.500 se trouvant dans des situations topographiques permettant l’usage de la bicyclette. Nous restons ainsi bien au-dessous du chiffre des gendarmes à pied auxquels la bicyclette sera attribuée, et cet effectif minimum nécessitera un supplément de crédit de 550.000 francs.

 

Que dira la Commission du budget, en présence de cette grosse augmentation de dépenses ?

 

Nous livrons cette réflexion à nos lecteurs. Ils penseront avec nous que l’effort tenté est considérable, qu’en aucun temps, la gendarmerie n’a vu ainsi les cordons de la bourse gouvernementale se délier pour elle, et que, précisément pour cette raison, il faut attendre l’heure de l’échéance, tout en étant reconnaissant cependant à ceux qui ont su vouloir qu’au moins la question fût ainsi posée.

 

Comment ! on trouvera plus d’un demi million pour doter de bicyclettes les gendarmes à pied, et on n’obtient pas même une vingtaine de mille francs pour transformer – ce qui est tout au moins aussi et plus urgent – quinze lieutenance en capitaineries ?

 

D’autres besoins sont aussi à satisfaire ; ils sont plus pressants ; les difficultés du recrutement le prouvent, et disent qu’avant de consacrer une si forte somme à doter d’une bicyclette les gendarmes à pied, un meilleur emploi en eut été fait, quitte à aller au chiffre rond d’un million, en demandant au Parlement le crédit nécessaire pour augmenter la solde des militaires de tous grades de la gendarmerie dont le traitement est aujourd’hui inférieur à celui des agents de police, des douaniers, forestiers, etc.

 

L’attribution d’une prime journalière de 25 centimes nous paraît suffisante pour indemniser le gendarme à pied de la dépense d’acquisition d’une machine et des frais d’entretien. Elle a été calculée sur une base assez large pour que le gendarme soigneux trouve plutôt un léger bénéfice qu’une diminution de son traitement.

 

Somme toute, c’est pour le gendarme à pied la remonte à titre onéreux avec une machine, comme le gendarme monté l’est avec un cheval.

 

La combinaison est bonne : elle plaide une fois de plus contre la remonte à titre gratuit qui était ces temps derniers à l’ordre du jour, et dont on n’entend plus parler, sans doute parce que, dans les conditions où elle était proposée, la cavalerie a dû protester, puisqu’elle apparaissait comme lui étant préjudiciable, même impossible, chose facile à démontrer avant la mise en épreuve.

 

Pour en revenir à la bicyclette, on ne s’est pas demandé comment les gendarmes âgés, touchant à la retraite, s’accommoderont d’un moyen de locomotion qui leur causera plus de dépenses que de recettes, par les accidents que leur inexpérience occasionnera à leurs machines.

 

Il y a là toute une réglementation à établir, absolument comme pour les chevaux : accidents dans le service, perte ou dépréciation par suite de circonstances de force majeure, prime de conservation, reprise d’une machine à un gendarme rayé des contrôle, etc.

 

Et alors, il faudra aussi demander des allocations supplémentaires pour alimenter la masse d’entretien et de remonte, chargée de pourvoir à ces dépenses avec des allocations déjà insuffisantes.

 

Le dernier mot n’est donc pas dit, comme le laisse supposer la circulaire ministérielle ; il semble même que la question, telle qu’elle se présente, n’ait pas été suffisamment étudiée.

 

Il y aurait d’ailleurs bien d’autres objections à présenter.

 

Le mieux est d’attendre, puisque, somme toute, la question se pose sous forme d’une expérience sur une grande échelle, et c’était le meilleur moyen d’aboutir dans un sens ou dans l’autre.

 

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Patrouille à bicyclette en 1913

 

sources: L’écho de la gendarmerie, n° 1066, 3 février 1901